samedi 10 mai 2014

CONFESSIONS d'Augustin: erreur et impact du dualisme esprit-matière

Je propose ici une partie de l'Introduction d'une réédition web des Confessions d'Augustin d'Hippone à laquelle j'ai contribué en 2013. Augustin est un théologien majeur, dans l'histoire de l'Église. Ses CONFESSIONS, ont été publiées vers l'an 400 ap. J.-C.  L'Introduction pour la réédition contient entre autres, la section «QUELQUES NOTES SUR LE NÉOPLATONISME D'AUGUSTIN. (GOSSELIN ET BERNIER)». C'est de là que j'ai tiré un extrait.


Bref, nous avons abordé, dans l'introduction plus large de la réédition des Confessions, l'erreur répandue et contraire à la doctrine chrétienne, consistant à mépriser le corps et le monde matériel, pour élever l'esprit comme seul important. Cette approche dualiste remontant aux philosophes grecs et aux néoplatoniciens, est non biblique, même si un grand nombre de chrétiens y adhèrent, plus ou mois consciemment. Dans les Écritures et la doctrine chrétienne d'origine dès le 1er siècle, le corps des croyants est décrit comme important, destiné à être une habitation de l'Esprit de Dieu. Il n'est donc pas inférieur à l'esprit. Le corps sera même transformé à la résurrection des croyants. Les autres ressuscitent aussi, sous une forme corporelle, afin de comparaître devant le tribunal divin. Augustin (4e et et 5e siècle) n'étant pas séparé de son époque, était vraisemblablement influencé par son passage au sein d'un tel mouvement, les Manichéens, ainsi que par Platon et les néoplatoniciens. Et, bien qu'il ait écrit des œuvres influentes, il a par contre, contribué à perpétuer le mépris du corps au profit de l'esprit; un dualisme corps-esprit et matière versus immatériel. De son oeuvre, nous retenons ce qui est bon, selon le principe biblique. Cependant, il nous apparaissait nécessaire de critiquer le biais du mépris du corps au détriment de l'esprit humain, en raison de son impact, jusque dans le monde contemporain, considérant l'impact des philosophes grecs et des théologiens majeurs, comme Augustin.

Conséquences de la philosophie dans le monde contemporain

Une des conséquences de la pensée grecque dichotomique (dichotomie corps-esprit) dans la vie courante aujourd'hui est  que nous avons régulièrement de la difficulté à voir l'importance d'une maîtrise de soi ou d'une vie équilibrée, pour un leader quelconque: leader politique , enseignant, directeur et ainsi de suite. Tant qu'il fait le travail, son équilibre personnel ne nous regarde pas, pense-t-on. Pourtant, les exemples récents nous montrent qu'il y a un lien réel entre l'être et le faire. La toxicomanie du maire Ford de Toronto et les frasques de personnages connus nous contredisent dans les conséquences de notre philosophie fortement teintée de la pensée grecque antiques et du Moyen Âge, lorsqu'elle est appliquée dans le monde réel et non conceptuel. Plus la personne est en poste d'influence, plus les problèmes personnels atteignent la société. Cela ne veut pas dire que l'être devient inutilisable, mais plutôt, qu'il est comme un engrenage important d'un tout, dont des dents sont cassées ou émoussées. Nous sommes tous comme des engrenages de ce monde, émoussés par le péché, de quelque manière, à un quelconque degré. C'est pourquoi nous avons besoins d'être «reconstruits». Notre concepteur et réparateur, c'est le Christ. Il rachète la «pièce», lui redonne vie et l'imprègne de sa pensée. Il la trempe dans son Esprit et la renforce.


DÉBUT DE L'EXTRAIT:

Néoplatonisme et sexualité 


L’influence des idées platoniciennes sur le christianisme a donc été très importante. Même l’interprétation de la Genèse en a été affectée. Qui n’a pas entendu, touchant le récit de la chute d’Adam et Ève, que la pomme (16) représente la découverte de la sexualité puisque celle-ci est méprisée dans la vision du monde platonicienne, rappelant l’état matériel et animal de l’homme?! Pourtant le récit de la Genèse dément ce mépris ridicule de la sexualité, car même avant la Chute (dans un monde parfait) Dieu a ordonné à Adam et Ève « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez » (Gen. 1 : 28). Il suffit de réfléchir un bref moment. Comment obéir à cette ordonnance sans acte sexuel ?


Pour tenter de corriger cet illogisme, mais sans renoncer au mépris du corps, des sens et du monde matériel, qui ont leur source chez Platon, l’Église Catholique a décrété que la sexualité ne serait légitime qu’à condition de viser la procréation (17). Mais il faut constater que cela conduit à des incohérences lorsque nous considérons un autre livre de la Bible qui dément clairement cette attitude méprisante à l’égard de la sexualité c’est-à-dire le Cantique des Cantiques. Dans ce livre poétique, on y décrit de manière élégante les diverses parties du corps humain. Il était clair pour l’Hébreu de l’Antiquité que la sexualité humaine, à l’intérieur du cadre du mariage spécifié par la Torah, est une chose belle et précieuse, un don de Dieu. Il s’agit donc d’un aspect de la nature humaine que l’on peut célébrer même au point de l’inclure dans les textes sacrés comme c’est le cas du Cantique des Cantiques! Il faut noter qu’un lien obligatoire entre acte sexuel et reproduction n’est jamais fait dans ce texte. Au cours des siècles, bien sur de nombreux théologiens chrétiens (influencés par des concepts platoniciens) ont cherché à interpréter ce livre de manière strictement allégorique (18). Une interprétation littérale aurait été trop gênante…

À l’égard de la sexualité, on constate que la théologie catholique a suivi la pensée d’Aristote. Dans son Commentaire sur L’Éthique à Nicomaque d’Aristote, Thomas d’Aquin examine ce passage d’Aristote où il affirme:
«Car cette recherche du plaisir devient insatiable, et en toute occasion, chez l’être en proie à cette folie. La violence de la passion ne fait qu’accroître les états de même nature, si bien que, devenus grands et puissants, ils vont jusqu’à supplanter la raison. Aussi faut-il veiller que ces passions se maintiennent dans une juste moyenne et en limiter le nombre, en ayant soin qu’elles ne contrarient en rien la raison.» (Éth. à Nicomaque, livre 3, chapitre 12)

À ce sujet, Thomas d’Aquin offre ces remarques:
«Ensuite (1119b11), il montre la ressemblance de l’une et l’autre fautes, quant à la manière de les châtier, ou de les réprimer. Il dit que, parce que la concupiscence et le plaisir sont violents, ils augmentent d’eux-mêmes; c’est pourquoi il faut qu’ils soient mesurés, c’est-à-dire, ne comportent pas d’excès en grandeur, ou en violence d’affection, soient peu en nombre, et ne contrarient en rien la raison quant à l’espèce de concupiscence ou de plaisir concerné, qui se prend du côté de l’objet.» (Commentaire sur l’éthique à Nicomaque; leçon 22, paragraphe 647)
Par la suite d’autres théologiens catholiques iront jusqu’à faire de l’acte sexuel, même dans le cadre du mariage, un péché, mais un péché de moindre envergure que le même acte hors du contexte du mariage.

Le Nouveau Testament discute de la place naturelle de la sexualité dans le couple, non pas uniquement dans le but de donner naissance à des enfants, mais également pour le plaisir. L’un n’exclut pas l’autre. Ainsi, d’un côté, l’apôtre Paul enjoint aux hommes chrétiens de ne plus livrer leur corps à la prostituée ou à la prostitution sacrée des temples païens (1Cor. 6 : 15), mais il ordonne que chaque membre du couple doive rendre à l’autre, l’homme à la femme et la femme à son mari, ce qui est nécessaire, pour ceux qui n’ont pas un don particulier pour le célibat. Le mari et la femme ne doivent pas se priver longuement l’un de l’autre, pour protéger l’intégrité et l’exclusivité du mariage, en raison de la puissance de l’énergie sexuelle (1Cor. 7 : 1-8). Les jeunes veuves de l’Église sont enjointes de se remarier pour des raisons semblables (1Tim. 5 : 14).

Dans le Nouveau Testament, bien des vérités sont communiquées au moyen de métaphores, c’est-à-dire de comparaisons entre deux choses. Certaines touchent des concepts secondaires, d’autres, des points de plus haute importance. Un concept important qui apparaît pour la première fois dans le Nouveau Testament est l’Église, et la métaphore qui sert à illustrer le sens de cette institution est curieusement le CORPS de Christ !(19)  Manifestement si le mépris des choses terrestres avait sa source dans les Écritures une telle métaphore ne s’y trouverait jamais. Les Écritures nous affirment même que le «corps est le temple du Saint-Esprit» (1Cor. 6 : 19). Or tous savent qu’un temple n’est jamais une construction insignifiante, sans importance. En toute logique, le corps humain a son importance aussi. Touchant la sexualité, C. S. Lewis, professeur de littérature de la Renaissance et du Moyen Âge à l’Université de Cambridge, fait des remarques fort instructives (1943/1985 : 108-109):
«Les vieux prédicateurs chrétiens précisaient que, sans la chute originelle de l’homme, le plaisir sexuel, au lieu d’être amoindri comme maintenant, serait en réalité plus grand. Et si quelques chrétiens à l’esprit confus décrétèrent que le christianisme jetait le discrédit sur la sexualité, le corps ou la jouissance, ils avaient tort. Le christianisme est presque la seule des religions qui exalte le corps, qui croit que la matière est bonne, et que Dieu lui-même revêtit une fois un corps humain. De plus, une certaine forme corporelle nous sera donnée au ciel et constituera une part essentielle de notre bonheur, de notre beauté et de notre énergie. Le christianisme a glorifié le mariage plus que toute autre religion. Quasiment toute la plus belle poésie d’amour dans le monde est l’oeuvre de chrétiens. Si quelqu’un dit que le sexe, en soi, est mauvais, le christianisme le contredit sur-le-champ».

Influences grecques et eschatologie chrétienne

L’eschatologie biblique n’aborde pas l’étude de la fin des temps sous un angle négatif, mais comme une délivrance. Elle ne l’aborde pas non plus comme une «fin» au sens habituel, mais en tant que changement incontournable et bénéfique qui modifie même la dimension espace-temps de l’homme. Cette branche de la théologie traite de la destinée éternelle de la Création actuelle, celle des âmes, de la fin des temps (tels que nous les connaissons) et du remplacement de systèmes qui auront démontré leurs failles et épuisé tous leurs recours, pour intégrer le règne visible de Dieu qui influence même les conceptions du temps et de l’espace. Si la pensée néoplatonicienne a beaucoup d’influence sur les attitudes chrétiennes touchant la culture et la sexualité, elle en aura aussi sur l’eschatologie bien que certains écueils seront évités.

Dans le christianisme contemporain, en raison des influences grecques et gnostiques (mépris du corps, des sens, et du monde matériel ou terrestre), l’espérance de la vie éternelle des rachetés est souvent perçue encore comme la survie éternelle d’âmes désincarnées. Un des clichés à cet égard est l’âme assise sur un nuage, jouant de la harpe pour l’éternité (et se demandant après quelques minutes si peut-être on s’amuse pas davantage en enfer). Il est pourtant clair selon les Écritures, que l’espérance du croyant inclut aussi la résurrection du corps, d’une nouvelle manière certes, un corps qui sera transformé, mais un corps quand même (1Cor.15: 42-44). C’est aussi ce qu’Augustin a transmis, se dissociant sur ce point de Platon et des néoplatoniciens, comme nous l’avons vu dans le texte de présentation de Livermore.

Dans les Écritures, particulièrement dans la grande Révélation (l’Apocalypse de Jean), le «Ciel» dans le contexte visible du rétablissement du Royaume de Dieu, consiste davantage en l’union de Dieu qui vient habiter parmi les hommes, sous de nouveaux cieux et sur une nouvelle Terre (Apocalypse 21: 1-10, 22 ; Psaumes 102 : 25-28 ; Hébreux 1 : 10-12), un nouvel Éden en somme. C’est la dimension du Ciel en tant que demeure de Dieu, qui vient vers des humains rachetés et transformés par la grâce de Dieu, plutôt que l’existence éternelle d’âmes désincarnées.

Cela diffère grandement de l’idée que l’homme monterait comme une vapeur dans une sphère ou dimension éternelle totalement immatérielle, concept davantage emprunté au néoplatonisme et aux gnoses. Il est vrai que l’âme humaine se détache du corps à la mort, mais ce n’est qu’une attente. Dans le livre de l’Apocalypse, les âmes des martyrs qui réclament la justice pour tout le sang répandu dans les persécutions démentes, attendent aussi en repos, la résurrection corporelle à venir (Apocalypse 6 : 9-11 ; Ap. 20 : 4-6 ; Romains 8 : 11). Loin de décrire le corps comme vil ou inférieur, les Écritures le présentent comme créé en vue d’être une habitation de Dieu, en esprit (1Cor. 6 : 19). Voilà pourquoi, il faut chercher la volonté de Dieu, étant dans notre corps, comme étant le ou la responsable d’une demeure pour le Père des esprits (Hébreux 12 : 9).

Mais le plus étonnant demeure l’incarnation du Christ préexistant, pour le salut de ceux qui croiront. L’incarnation et la crucifixion, parce que dans un corps, sont un «scandale pour les Juifs, et une folie pour les Grecs» (1Cor. 1 : 23) et ce, déjà au temps de l’apôtre Paul, au premier siècle de notre ère. Scandale pour ceux pour qui Dieu le Fils devenant homme équivaut à un blasphème et folie pour ceux qui ont appris, dans leur culture et environnement scolastique (sous influence platonicienne), que le corps sera toujours inférieur ; une prison dont il faut s’extirper (par l’ascèse, par des rites et même dans certaines sectes ésotériques modernes par le suicide) (20). À noter que les Occidentaux (autant séculiers qu’ecclésiastiques) sont, en grande partie les héritiers et porteurs contemporains, des concepts des Grecs anciens. Pour le monde occidental donc, l’incarnation et la crucifixion tendent plutôt à être perçues comme pure folie (et non scandale comme chez les Juifs), car ce monde ne lui reconnaît pas la prétention au caractère et à l’identité du Divin et mourir pour les péchés des hommes semble un geste dérisoire, car depuis les Lumières on a décrété que ce concept n’existe plus. On voit donc le Christ, au mieux, comme un réformateur, un « révolutionnaire ». Mais voici ce que pense Dieu de notre grande sagesse :
« Car mes pensées ne sont pas vos pensées,

Et vos voies ne sont pas mes voies,

Dit l’Éternel.

Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre,

Autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies,
Et mes pensées au-dessus de vos pensées »
(Ésaïe 55 : 8 ; voir aussi 1Corinthiens 1 : 25)

C o n c l u s i o n

Lorsqu'on s’appuie sur les Saintes Écritures, on constate une divergence radicale avec les philosophies et gnoses grecques qui méprisaient le corps et le monde visible. Selon la foi chrétienne et les Écritures, Dieu a prévu la résurrection des corps et la re-création d’un monde matériel (où il rétablira de nouveaux cieux, une nouvelle Terre et la résurrection corporelle) et qui décrit dès les premiers chapitres de la Genèse (Gen. 1 : 4, 10, 11, 12, 18, 21, 25, 31 ; Gen. 2 : 9) à plusieurs reprises l’ensemble de la Création originelle, comme « bon » ou « très bon », ou « agréable ». Le corps est appelé à devenir, de notre vivant, une habitation de Dieu en esprit, pour ceux qui acceptent la grâce en Jésus-Christ et marchent dans ses voies. L’âme ne trouve pas Dieu dans la mort, elle est contrainte de le recevoir avant, dans son corps.

Il faut préciser, Augustin n’est pas le seul ayant introduit la pensée grecque ou néoplatonicienne dans la théologie, mais étant donné le prestige de son oeuvre, il a joué un rôle plus important que d’autres. Au Moyen Âge par exemple, un intervenant comme Thomas d’Aquin a également joué un rôle important dans la transmission de la pensée grecque en Occident. La philosophie et la culture grecques ont joui d’un prestige immense dans le monde ancien jusqu’au Moyen Âge (21) et ont été véhiculées autant par les intellectuels que l’éducation scolastique. Cela s’est fait parfois dans la transmission d’oeuvres complètes, aussi bien que par une transmission plus diffuse de concepts grecs, mais détachés de leurs sources originales (22). Il en est de même aujourd’hui. Dans notre génération on rencontre des concepts modernes ou postmodernes qui sont remballés dans un jargon théologique chrétien et diffusé par des individus bien intentionnés n’ayant généralement) aucune idée de leur source.

Ainsi, nous voyons qu’avec l’influence néoplatonicienne, la chrétienté a trop souvent intégré et transmis l’idée que ce qui est agréable pour les sens, devrait être regardé comme méprisable, un obstacle à celui ou celle qui cherche à s’approcher de Dieu. Il a été question, dans cette note, de la sexualité (qui est l’idée de Dieu), mais également de la musique ou des arts, vus par Augustin, Athanase et Platon. Mais combien de fois est-il fait référence dans notre société occidentale, à d’autres plaisirs de la vie. Nous le voyons même dans la lecture déformée que ce monde fait de l’Église (23), dans les médias, pour tenter de discréditer la foi chrétienne, alors même que l’Écriture dit que «tout ce que Dieu a créé est bon» (1 Tim. 4 :4), si l’on respecte l’intention du Concepteur. Nous le constatons dans la mise en marché de produits de consommation. Dans le monde du marketing, si un mets est succulent et délicat (sucré, calorique, dispendieux), fréquemment la publicité l’associera au «péché», à l’interdit (car l’interdit fait vendre). La pratique est en train de passer à l’usage dans le langage. Jésus a pourtant changé de l’eau contenue dans des vases destinés aux purifications rituelles, en un vin meilleur que celui qui est venu à manquer aux noces de Cana, localité de la Galilée. Jésus fit ce premier miracle pour démontrer son identité et son appel, à ses disciples (Jean 2 :1-11), mais aussi (indirectement) pour ajouter son approbation à l’institution du mariage.

Mais la théologie déformée par le prisme de la philosophie grec, lui poussera ses adeptes à chercher un autre sens, réduisant chacun des récits du même genre, à un sens allégorique, à une métaphore d’une réalité spirituelle. Ainsi, selon l’approche, il en résulte au fil des siècles, que Jésus n’est plus accepté comme Fils unique de Dieu ; ce monde postmoderne si profondément religieux et superstitieux, rempli d’ésotérisme et de gnosticisme oriental, voudrait qu’il ne soit même plus un grand homme, ni même qu’il n’ait existé. Mais on tolère peut-être de le réduire à un petit frimeur [...] ; un petit dieu sans puissance qui parle bien, trop même. Selon la pensée grecque, la crucifixion du Messie dans un corps, marque son infériorité (24). Les ruines apparentes actuelles de l’Église universelle ne constituent pas évidemment, ce à quoi les pères grecs de l’Église voulaient en arriver... Pour la pensée matérialiste, la croix représente l’échec tragique de son ministère qui dérangeait l’establishment (politique, économique, religieux, culturel …) de son temps. Alors que pour Dieu, cette mort rédemptrice, dans un corps et l’incarnation, est planifiée dès avant le début de la création. C’est le prix cher payé pour sauver les hommes qui reconnaîtront leur péché et recevront gratuitement la solution offerte par Dieu à la condition humaine. 

Le cas d’Augustin doit nous faire réfléchir à la possibilité que le prestige de la pensée dominante de notre génération puisse également ouvrir la porte à des compromis (délibérés ou pas) avec la vérité chez les théologiens et autres leaders évangéliques et influencer aussi bien nos attitudes touchant la sexualité, les origines voire même nos activités d’évangélisation.

Évidemment, on retrouve des choses utiles et admirables dans la théologie et l’oeuvre d’Augustin. Touchant sa crédibilité, nous appliquerons la règle de sagesse voulant qu’il faille retenir «ce qui est bon», sans tout prendre ou tout rejeter ; ne pas idolâtrer, ne pas mépriser. Augustin n’est pas dieu, mais homme. Et dans De la Doctrine chrétienne (Livre II ch XL) il a lui-même enseigné que lorsque cela s’avère utile ou nécessaire, s’il se trouve de la sagesse ou de la vérité, même hors du peuple de Dieu, il faut retenir ce qui est bon et vrai ; le prendre aux «Égyptiens» et laisser tomber le reste. Car Dieu est la Source de la sagesse et de la vérité lorsqu’on les rencontre. Dans sa révolte contre Dieu, l’homme n’a pas tout perdu de ce qui lui a été accordé à l’origine, comme facultés et dons (conscience, intelligence, talents). Il a plutôt tout altéré, tordu, voire corrompu, souillant le bon, de sorte qu’à chaque vertu ou chaque don de Dieu, corresponde aussi sa contrepartie négative. Par exemple, l’excès de quelque chose de bon en fait quelque chose de mauvais ; comme il en est de l’excès du manger et du boire, ou encore, lorsque la responsabilité et la planification se transforment en soucis minant la foi (1Pierre 4 : 3 ; Luc 21 : 34). L’assurance devient orgueil, et ainsi de suite.

Sur le plan littéraire, il semble que les Confessions d’Augustin constituent la première autobiographie rédigée dans l’histoire de la littérature occidentale. Il est probable que cela ait trouvé inspiration dans l’ordre de Jésus disant à l’homme délivré de ses mille démons, «Va dans ta maison, vers les tiens, et raconte-leur tout ce que le Seigneur t’a fait, et comment il a eu pitié de toi» (Marc 5 : 19). C’est sans doute ce texte biblique qui est à l’origine du « témoignage », comme genre oral ou littéraire, tel qu’il est connu aujourd’hui chez les évangéliques.

Mais il faut s’arrêter ici, pour goûter chacun pour soi l’oeuvre des Confessions d’Augustin. Jugez-en vous-mêmes, avec les Écritures et une saine herméneutique, pour voir si ce qu’il nous enseigne est exact et admirez la grâce que Dieu lui a faite et qui nous est offerte à vous et moi. Et si Augustin a erré sur certains points, comme nous le faisons tous, il n’est pas nécessaire de le rejeter en bloc; mais «retenez ce qui est bon» (1Thessaloniciens, 5 : 24).

FIN DE L'EXTRAIT

Pour accéder au téléchargement PDF dans son intégralité : CONFESSIONS. Augustin d'Hippone.
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(EXTRAIT DES NOTES DE FIN DE SECTION)
[...]
16- Un des premiers à promouvoir l’idée que le fruit défendu était une pomme est un auteur du XVIIe siècle, John Milton, dans son grand poème Le Paradis perdu. (Paradise Lost. 1667).
17 - Et découlant en toute logique de cette perspective, la contraception est considérée une faute…
18 - Voyez dans quel embarras le Cantique des Cantiques place Origène (183-253 apr. J.-C.), un auteur chrétien parmi d’autres qui a introduit des concepts néoplatoniciens dans le christianisme. Ce livre biblique est un affront pour le néoplatonisme christianisé d’Origène. Voyez à son avis, la manière correcte d’interpréter ce livre (1966:75);
«Si ces détails n’étaient pas compris dans un sens spirituel, seraient-ils autre chose que des bavardages ? S’ils ne renferment pas quelque secret, ne sont-ils pas indignes de Dieu ? Celui qui sait entendre spirituellement les Écritures — ou au moins qui désire l’apprendre — doit donc tendre de toutes ses forces à ne pas vivre selon la chair et le sang; qu’il devienne digne des secrets spirituels, et, pour me servir d’une expression plus audacieuse, qu’il brûle de passion spirituelle, d’amour spirituel, car il existe aussi un amour spirituel.»
Notons que la recherche de « secrets » est le propre des sectes gnostiques du monde antique. Et lorsque Origène commente les versets qui décrivent la beauté des seins de la bien-aimée, évidemment il faut spiritualiser.
19- Pour de plus amples détails, voir à ce sujet 1Cor. 10: 17 ainsi que le chap. 12 de la même épître.
20 - Et il en est de même dans la pensée postmoderne (où la vie n’a de sens que dans la mesure où il permet un minimum de plaisir ou d’épanouissement) où la mort devient la « solution » pour la souffrance (lorsque les psys et les médecins ne peuvent plus rien), un « droit », mais un droit géré par l’État, il va sans dire…
21 - La seule institution sociale en Occident actuel avec un prestige comparable est la science. Tout comme il est presque impensable pour nous de remettre en question les dires des scientifiques, dans le monde antique (et jusqu’au Moyen Âge) il en était de même de l’autorité de la philosophie grecque.
22 - Ce qui n’est pas sans rappeler les commentaires de Jésus sur le « levain des pharisiens » (Mt 16 : 6-12).
23 - Proposant une image du christianisme, où il est dépeint comme étouffant tout ce qui est bon dans la vie, soit les arts, la sexualité et la science.
24 - Cette conception de la crucifixion apparaît chez les gnostiques. Dans l’Évangile apocryphe de Pierre par exemple, on nie la mort réelle du Christ sur la croix et l’on note au sujet de sa crucifixion (Quéré 1983: 120):
10. Ils amenèrent deux malfaiteurs, entre lesquels ils crucifièrent le Seigneur. Et lui se taisait, comme s’il n’éprouvait aucune souffrance. (…) 19. Et le Seigneur cria, disant: «Force, ô ma force, tu m’as abandonné! Ayant parlé, il fut élevé.»

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